Par Clémentine Jallais
C’est « l’un des plus éminents démographes au monde », selon le Scottish Herald, qui l’a dit : la modernité est une conspiration contre la fécondité. Son dernier livre No One Left – Why the World Needs More Children 1(Plus personne – Pourquoi le monde a besoin de davantage d’enfants) publié en juillet dernier a remué les esprits à droite comme à gauche. Parce que les chiffres de Paul Morland sont indiscutables, son raisonnement implacable : les sociétés développées voient leur effondrement démographique, engagé depuis les années 1950. Et parce que l’on voit aussi se dessiner, en creux, le fossoyeur de cette fécondité, à savoir le progressisme.
« Plaider en faveur de la procréation n’a jamais été aussi urgent », écrit-il. Mais sur quoi reposerait un sursaut salvateur des peuples du Nord, à l’heure où les pro-natalistes sont les moins à la page, à l’heure où on les dénonce comme anti-environnementaux, anti-féministes, anti-modernes, gens de droite exécrables, rétrogrades et homophobes ? Comment redonner sa cote à la famille « traditionnelle » dès lors qu’elle est honnie ? Là est la question. Et Paul Morland tente d’y donner une réponse, sans parti-pris.
« Il n’est pas anti-femmes d’encourager les femmes à avoir des enfants »
L’idée force que Paul Morland assène, note l’article enthousiaste de Louis T. March sur Mercator2, est que « le pro-natalisme existe depuis des millénaires et n’a rien à voir avec la race, l’oppression et la destruction de la planète : il a tout à voir avec la survie de l’espèce ». Et si les guerres ou les épidémies ont vu parfois les taux de natalité chuter de par le monde, il n’est a priori jamais advenu une telle courbe mondiale de décroissance de la fécondité.
C’est une situation éminemment nouvelle qui engendrera un déclin de la population mondiale avant la fin du siècle selon les dernières estimations des Nations unies, mais surtout une remodélisation globale, à plus court terme, puisque ce sont les pays développés qui sont gangrenés par cet hiver démographique et non pas les pays de Sud qui fourniront, eux, toute la croissance démographique à venir.
Nous assistons ainsi à une « transformation sociale complète » selon les mots de Paul Morland. En 1950, en Italie, il y avait « environ 17 enfants de moins de 10 ans pour une personne de plus de 80 ans » : aujourd’hui, c’est plutôt un pour un. En Thaïlande, en 1950, il y avait « plus de 70 enfants de moins de 10 ans pour une personne de plus de 80 ans : dans une génération, les plus de 80 ans seront plus nombreux que les moins de 10 ans ». Quant au Japon et à la Chine3, ils auront perdu plus de 40 % de leur population d’ici à la fin du siècle. CQFD.
Cette immigration qui cache la pénurie des naissances et l’effondrement démographique
Il va sans dire que le modèle social élaboré par les sociétés occidentales va être passablement mis à mal : la contraction de la population active remet mécaniquement en cause la viabilité du système d’Etat-providence. Paul Morland évoque justement le ratio de dépendance qui mesure la relation entre la population qui travaille et celle qui dépend de cette force active. Au Royaume-Uni, on est passé d’un ratio de 20 % dans les années 1950 à plus de 30 % aujourd’hui, avec une perspective inquiétante de 50 % d’ici aux années 2050. Au Japon, le ratio est déjà de 50 % et pourrait atteindre 80 % à la fin du siècle, ce qui signifie que presque chaque travailleur devra soutenir un retraité…
Pour Morland, il n’y a, en réalité, aucun modèle social viable si la natalité n’augmente pas. Aucune planification n’y résistera. Les personnes âgées seront abandonnées et l’Etat ne pourra rien y faire.
Pratiquement, les pays du Nord sont donc confrontés à ce que Morland appelle le « trilemme démographique ». « Une fois la transition démographique achevée, écrit-il, les pays peuvent présenter deux, mais pas trois, des caractéristiques suivantes : un faible taux de fécondité et peu d’enfants, l’homogénéité ethnique et le dynamisme économique. (…) S’ils veulent les deux premiers – à la fois avoir un faible taux de fécondité et conserver une société homogène sans immigration de masse – ils seront confrontés, comme le Japon, à un taux de dépendance des personnes âgées qui ne cessera de s’aggraver et à une économie en perte de vitesse. Si les nations veulent un faible taux de fécondité total et une économie dynamique, (…) elles devront maintenir leur taux de dépendance des personnes âgées à un niveau bas grâce à l’immigration de masse ».
Mais, même démographiquement, l’immigration n’est pas une solution. D’une part parce que beaucoup des pays d’origine des immigrés connaissent eux-mêmes une baisse significative de leur taux de natalité. D’autre part, parce que les études montrent une convergence rapide des taux de natalité des populations immigrées vers ceux de leur société d’accueil. Elle n’a donc qu’un effet de retardement et d’occultation puisqu’elle empêche la prise de conscience et le sursaut. Encore cela suppose-t-il, faudrait-il ajouter, que les immigrés répondent aux besoins d’emploi et ne soient pas d’abord des consommateurs des libéralités de l’Etat-Providence…
« Soyez féconds et multipliez-vous » : le wokisme contre la Genèse
S’il est donc nécessaire d’avoir un taux de fécondité élevé pour avoir à la fois une économie dynamique et éviter de dépendre de l’immigration, il faut s’attaquer aux causes de son déclin systémique. « Autrefois, c’était le progrès matériel qui entraînait la chute des taux de natalité. Aujourd’hui, dans une grande partie du monde, ce sont les idéaux et le mode de vie qui ne sont pas compatibles avec la formation des familles et les populations qui se remplacent de génération en génération. »
Dans une interview parue sur le média en ligne Hungary Today4, le démographe est plus précis encore : « Il s’agit d’une crise de fécondité démographique et non biologique. La modernité est une conspiration contre une fécondité élevée. (…) Je pense que l’idéologie woke fait partie de ce mélange toxique d’antinatalisme dans la culture. »
L’argent n’est pas la seule raison de l’absence d’enfants dans les familles (on le voit dans les effets somme toute mesurés des politiques pro-natalistes des Etats comme la Hongrie). C’est l’état d’esprit individualiste, concentré sur l’épanouissement et le divertissement, qui en est le plus grand responsable. Ajoutons à cela les effets du bourrage de crâne méthodique opéré par le malthusianisme puis l’écologisme selon lesquels avoir trop, ou avoir tout simplement des enfants épuise les réserves alimentaires et augmente de manière catastrophique notre empreinte carbone…
Paul Morland ne dit pas ouvertement que tout cela s’est appuyé sur l’accès à l’avortement et à la contraception. Mais il appuie longuement sur le rôle capital des religions dans les comportements reproductifs. La foi est, selon lui, un facteur essentiel – ainsi que la culture qui en découle nécessairement. Il met en parallèle la femme israélienne qui a en moyenne 3 enfants et celle qui vit en Corée du Sud qui en a seulement les deux tiers d’un seul, alors que leurs deux pays ont le même accès au « contrôle des naissances ».
Fécondité et natalité : « Rien n’est plus important pour l’avenir de l’humanité »
C’est d’ailleurs ce qui fait peur aux médias progressistes dans ce livre. The Times s’est inquiété, en juin dernier : ces idées en faveur d’une « culture nataliste » sont-elles un problème pour les femmes ? Le très gauchiste média en ligne Slate5 évoque aussi cette ligne rouge : « Les avancées concernant l’éducation des femmes, leur accès à la contraception et l’avortement, et leur participation au marché du travail constituent des progrès civilisationnels non négociables. »
Seulement, c’est bien cette culture de mort qui a fondé, in fine, la mentalité anti-famille de l’Occident. Ils voudraient l’en guérir sans en enlever la source. Et s’inquiètent tout en même temps de ce que les forts taux de natalité soient réservés aux cultures le plus souvent conservatrices où règnent, selon Slate, sexisme, patriarcat et homophobie ! Sans descendance, ils seront en tout cas les premiers à disparaître, comme le faisait remarquer Paul Morland…
Quant au sursaut, il n’est pas impossible. Dans son dernier chapitre, le démographe raconte comment, en 2007, le patriarche orthodoxe géorgien Ilia II a proposé de baptiser et d’être le parrain de tous les nouveau-nés de couples mariés ayant déjà deux enfants. Cette initiative a eu un tel impact sur les Géorgiens orthodoxes qu’au cours de la décennie suivante, 30.000 baptêmes de ce type ont été recensés. La foi, la culture et la politique ont bien maille à partir avec le taux de fécondité d’un pays. Ainsi, sans même dire explicitement qu’il faille mettre fin à ce qu’on appelle « les droits des femmes », Paul Morland charge la culture de mort de notre post-modernité.
Source : https://reinformation.tv/effondrement-demographique-modernite-natalite-jallais/
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