L’article 4 de la loi Aubry prévoit que toute femme désirant subir un avortement soit informée des risques encourus par cet acte médical grave. Mais il est notoire que, en consultation préalable pour un avortement, les femmes reçoivent exclusivement des informations unilatérales et biaisées qui négligent de mentionner les nombreuses séquelles médicales et psychologiques de cette intervention lourde. Nombreuses sont même les femmes qui déclarent avoir subi des pressions psychologiques de la part des assistantes sociales qu’elles consultent, pour les forcer à consentir à un avortement non désiré.
Si l’on manquait encore de preuves, il suffirait de lire le récit écœurant que fait Sabine Faivre, diplômée en éthique médicale, des entretiens auxquels elle a assisté dans le cadre d’une enquête pour sa licence de psychologie à Nice, dans la spécialité « clinique des traumatismes ».
Cette mère de trois enfants, déléguée à la Pastorale de la vie sur le diocèse de Fréjus, a eu le courage d’entrer dans le cœur même du système hospitalier pour étudier de près « la réalité de l’avortement sous un angle nouveau, celui du retentissement psychologique ». Pour y parvenir, elle a été, durant deux mois, associée à des entretiens préalables à l’avortement par une simple présence, la plupart du temps silencieuse. Elle a aussi interrogé les intervenants : médecins, infirmières, travailleurs sociaux, femmes ayant subi un avortement.
Elle déclare être sortie « comme ces gens revenus complètement hagards des camps de concentration ».
Lorsqu’elle a remis son travail, elle pensait que celui-ci « provoquerait un genre de séisme », comparable à celui qu’elle avait vécu. Au moins une prise de conscience. « On m’a notée, révèle-t-elle, on a écrit “réalité saisissante” en bas de page, puis on m’a remerciée, et au-revoir madame. Ensuite, plus rien ». Juste l’oubli. Elle-même a commencé à avoir peur d’avoir ainsi démasqué le système et s’est tue.
Trois ans plus tard, elle s’est rendu compte qu’on ne pouvait ignorer cette réalité vue de l’intérieur. Et elle a eu le courage de publier chez Téqui son enquête, sous le titre « La vérité sur l’avortement aujourd’hui » avec une préface de Mgr Rey, évêque de Fréjus-Toulon.
Certes, son étude ne concerne pas tout ce qui se vit en France en matière de prise en charge des avortements, compte tenu du caractère restreint de l’enquête. Mais elle a le mérite de soulever le coin du voile sur une réalité jusqu’à ce jour inconnue des autorités et du public. Et ainsi de commencer à «scier un des murs fondateurs du système » pour le faire s’écrouler tel un château de cartes, comme elle a cru un moment avoir réussi à le faire.
Cela est toujours possible, car il suffit que le tabou soit brisé – c’est le grand mérite de son livre – pour que d’autres langues se délient, d’autres enquêtes soient menées, afin que d’autres mesures législatives soient prises.
« Cela m’a fait réaliser ce que c’était vraiment »
Voici un exemple de ce qu’elle a vécu pendant deux mois. Il s’agit du deuxième entretien du 15 mai 2002, concernant une femme d’une trentaine d’années, secrétaire commerciale, qui a un partenaire depuis une dizaine d’années et une fille de quatorze ans qui aimerait bien avoir un petit frère ou une petite sœur. Mais le couple ne se sent pas prêt. Viennent les explications sommaires de la responsable de l’accueil sur la procédure de l’avortement chimique et ses propos rassurants sur ce qu’elle peut ressentir :
« Ce qui peut être difficile, au niveau psychologique, c’est qu’on vous demandera d’expulser dans un bassin ; attention, vous n’allez pas expulser un gros truc, au niveau du vécu, c’est des caillots, rien de plus, ne vous inquiétez pas ; c’est que des caillots.
« Je vous explique tout ça, parce que quand on est prévenu, on vit mieux les choses.
« — Est-ce que ça marche à tous les coups ?
« Non, il peut y avoir des échecs, ça, il faut le savoir ; alors, là, il faut vous hospitaliser, et on vous fait un curetage pour bien vérifier que tout est parti.
« — Ah bon…
« Là vous avez un délai de réflexion d’une semaine.
« — Mais est-ce qu’on ne pourrait pas quand même accélérer les choses ?
« Non, la loi prévoit une semaine de réflexion. »
Arrivés à ce point, Sabine Faivre demande à l’assistante d’intervenir et elle explique l’enquête qu’elle fait sur la façon dont les femmes peuvent vivre une demande d’avortement. Elle ajoute gentiment : « J’imagine que ce que vous vivez ne doit pas être facile ». Le dialogue entre la femme et l’assistante continue :
« — Non… (larmes) Hier j’ai regardé l’échographie, et cela m’a bouleversée ; j’ai vu, j’ai entendu le cœur battre !
« Ça, ça me tue qu’on oblige les femmes à regarder leur échographie et à entendre le cœur qui bat !
« — Cela m’a fait réaliser ce que c’était vraiment.
« Eh oui, on sait bien ce que c’est ! Mais c’est révoltant d’obliger la femme à subir ça, quand on sait combien c’est déjà culpabilisant !
« C’est vraiment égoïste ce qu’on va faire ; c’est vrai, j’ai entendu le cœur battre ! »
« — Hier, j’étais perdue, paumée, j’ai failli renoncer à ma demande d’IVG. J’étais prête à le garder. Après, on en a rediscuté entre nous… C’est vraiment égoïste ce qu’on va faire ; c’est vrai, j’ai entendu le cœur battre !
« Pourquoi, égoïste ? Ce n’est pas du tout égoïste ! Vous faites un transfert. Parce que ça serait égoïste de penser à soi d’abord ?
« — Mais j’ai entendu le cœur battre ! Je culpabilise de penser à moi.
« Mais ce n’est pas un enfant encore ! et puis de toute façon, comme vous nous avez dit, vous en avez discuté tous les deux, vous avez mis les choses à plat, et vous avez fait le bon choix.
[Silence]
« Bon, maintenant vous allez voir le médecin, il vous donnera un papier pour vous expliquer l’intervention et les risques ; ne vous inquiétez pas de ce que vous lirez, cela n’arrive que très rarement, c’est juste une précaution.
« — Merci.
« Après avoir raccompagné la jeune femme, la conseillère conjugale revient, et me dit combien elle a été choquée par mes questions ; elle trouve que je n’ai absolument pas écouté la demande de la jeune femme, quand j’ai posé ma questions sur les alternatives ; elle avait selon elle déjà affirmé que sa décision d’IVG était prise.
« Elle trouve que j’ai inutilement remué le couteau dans la plaie, que j’ai semé un doute dans son esprit, que j’ai accentué sa culpabilité face à la demande d’IVG.
« Or ce que j’ai simplement voulu, c’était rejoindre cette femme dans son vécu, pour l’aider à réfléchir sur la difficulté qu’elle ressentait par rapport à sa démarche d’IVG, sur son ambivalence, sur les raisons qui la poussaient ici.
« C’est elle qui a tout de suite parlé, avec beaucoup d’émotion, de son échographie, et de ce que cela avait pu susciter en elle comme prise de conscience.
« La conseillère conjugale partait du principe que la décision était prise ; or cela ne semblait pas être le cas ; on ne pouvait le savoir qu’en approfondissant l’entretien ».