Le 8 septembre dernier, la Chambre des représentants des Pays-Bas a débattu de l’initiative « L’accès à l’avortement est un droit humain », présentée par les députés du D66, Sjoerd Sjoerdsma et Wieke Paulusma, qui proposaient de déclarer l’accès à l’avortement comme un droit humain fondamental.
La proposition du D66 a été formellement examinée au Parlement hollandais afin de débattre si les Pays-Bas devaient promouvoir la reconnaissance internationale de l’avortement comme droit humain, tant dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE que dans les traités internationaux relatifs aux droits civils et politiques. Le débat a inclus des positions favorables à l’universalisation de l’accès à un avortement sûr et gratuit et des critiques, principalement de partis chrétiens et d’experts en éthique, qui ont averti du risque de reléguer la protection du fœtus et les droits à l’objection de conscience du personnel médical.
Elle est soutenue par GroenLinks-PvdA, VVD et SP, qui souhaitent transformer le droit à l’avortement en droit humain et que les Pays-Bas promeuvent ce standard à l’international. Elle est rejetée par ChristenUnie, SGP et d’autres formations chrétiennes qui avertissent que cela invisibilise les droits de l’enfant à naître et critiquent une « radicalisation » du débat.
Une des personnalités qui a le plus marqué le débat extraparlementaire est l’archevêque d’Utrecht, le Cardinal Eijk, qui, après l’examen de l’initiative, a rédigé une déclaration au nom de la Conférence épiscopale néerlandaise.
Le prélat, médecin de formation, rappelle le droit fondamental à la vie, également des enfants à naître, et décrit les antécédents essentiels ainsi que les conséquences morales nécessaires.
Il mentionne aussi le danger que les professionnels de santé ne puissent plus s’opposer par principe à collaborer à un avortement si celui-ci est considéré comme un droit humain.
Voici l’intégralité du texte.
« L’avortement est-il un droit humain ? »
Lundi prochain, 8 septembre, la Chambre basse débattra de la note d’initiative « L’accès à l’avortement est un droit humain », présentée par les députés du parti D66 Sjoerdsma et Paulusma.[1] Dans cette note, ils exhortent le gouvernement, entre autres, à plaider avec des pays alliés pour l’inscription du droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils prétendent ainsi améliorer l’accès à l’avortement dans le monde entier.
Leur appel au gouvernement est motivé par la préoccupation que chaque année, 39 000 femmes meurent dans le monde à la suite d’un avortement non sécurisé. Selon eux, ce chiffre est comparable au nombre total d’habitants de la commune de Wageningen. Il est bien sûr très regrettable que des femmes meurent d’un avortement provoqué non sécurisé. Mais ne devrions-nous pas aussi nous inquiéter du nombre astronomique d’enfants à naître dont la vie est interrompue par l’avortement ? Entre 2021 et 2023, le nombre annuel d’avortements aux Pays-Bas est passé de 31 049 [2] à 39 332.[3] Aux États-Unis, le nombre d’avortements en 2020 a été estimé à 930 160, ce qui signifie qu’environ un cinquième de toutes les grossesses se sont terminées par un avortement.[4] À l’échelle mondiale, cela concerne 29 % de toutes les grossesses et le nombre annuel d’avortements s’élève à environ 73 millions.[5]
L’Organisation mondiale de la Santé indique que les maladies cardiaques ischémiques sont la première cause de décès (9 millions de morts en 2021). Mais ne devrions-nous pas constater que, dans les faits, l’avortement est la première cause de décès ? Le prix de cette réalité est payé par le fait que le fœtus en développement dans l’utérus, voire même le nouveau-né, ne sont pas considérés comme des personnes humaines. D’un point de vue biologique, l’être humain ne serait une personne que s’il a conscience de lui-même et qu’il peut penser. On ne peut démontrer que l’embryon est un être humain dès la fécondation. Pourtant, il est difficile d’imaginer que l’embryon ne soit pas un être humain dès ce moment, car c’est dès la fécondation que se détermine l’ADN qui fixera ses caractéristiques héréditaires pour toute sa vie. Et même si l’embryon n’est pas encore une personne humaine actuelle, il est en tout cas une personne humaine potentielle. Par conséquent, dès le moment de la fécondation, il faut prendre en compte les droits de la personne qui émergera de l’embryon au fur et à mesure de son développement. « L’être humain doit être respecté et traité comme une personne dès le moment de la conception ; et c’est pourquoi, dès ce moment, ses droits de personne doivent être reconnus, parmi lesquels figure en premier lieu le droit inviolable à la vie de tout être humain innocent » (Evangelium vitae, n. 60).
Ce droit fondamental et objectif à la vie est conféré à l’homme par le Créateur. Celui-ci lui donne une dignité essentielle unique, en le créant à son image et à sa ressemblance (Genèse 1, 26-27). Dieu est donc la source des droits objectifs de l’homme, parmi lesquels le droit à la vie. Cependant, lorsque Dieu n’est pas reconnu comme Créateur, c’est l’État qui détermine les droits des personnes. En légalisant l’avortement, on viole le droit à la vie des êtres humains à naître.
L’avortement n’est pas légalisé aux Pays-Bas. Il reste interdit (Code pénal, art. 296, alinéa 1). L’avortement n’est légal que s’il est pratiqué par un médecin dans un hôpital ou une clinique, ou par un médecin généraliste qui prescrit une pilule abortive conformément à la loi sur l’interruption de grossesse (art. 296, alinéa 5). L’interdiction formelle de l’avortement conserve un certain effet protecteur pour l’enfant à naître. La proposition du parti D66 vise à retirer l’avortement du droit pénal aux Pays-Bas et dans d’autres pays partageant les mêmes idées, et à en faire un droit fondamental. On s’attend à ce que cela accroisse l’accès à ce que l’on appelle un avortement sûr. En France, ce droit a déjà été inscrit dans la Constitution le 4 mars dernier.[6]
Le fait que l’avortement reste en principe interdit aux Pays-Bas protège également les médecins qui ont une objection de conscience et refusent d’y coopérer. La loi sur l’interruption de grossesse stipule explicitement que personne n’est tenu de pratiquer un avortement ni d’y coopérer (art. 20, alinéa 1). Déclarer l’avortement comme un droit humain fondamental impliquerait que les médecins et les professionnels de santé qui s’y refusent pour motifs de conscience nieraient aux femmes le droit à des soins et le droit à l’avortement. Cela affaiblirait la liberté de conscience des travailleurs du secteur médical.
La proposition du parti D66 de faire de l’avortement un droit humain fondamental implique que l’État, à travers sa législation, ou un groupe d’États, par le biais de traités internationaux, accorde à la femme le droit de décider de son propre corps. Ce droit lui donnerait également la possibilité de mettre fin à la vie de son enfant à naître par l’avortement. Dans la culture actuelle, on insiste sur les droits subjectifs, c’est-à-dire le droit de faire quelque chose et de décider de façon autonome, en l’occurrence de tuer l’enfant à naître par l’avortement. Dans l’ordre de la création, il s’agit de droits objectifs, que le Créateur confère à l’homme et qui doivent donc être respectés.
De plus, l’avortement ne relève pas de l’autodétermination de la femme sur son corps. Elle dispose de la vie d’une autre personne, son enfant à naître, un être humain actuel ou un être humain potentiel en devenir.
La loi sur l’interruption de grossesse implique déjà une violation du droit fondamental à la vie des enfants à naître. Déclarer l’avortement comme un droit humain revient simplement à nier ce droit. Or il n’appartient pas à l’État, pas même à une majorité démocratique, d’invalider le droit fondamental à la vie que le Créateur a conféré à l’homme, y compris à l’homme à naître. Jean-Paul II dit à ce propos : « Une majorité parlementaire ou sociale ne prend-elle pas parfois, lorsqu’elle approuve la légitimité de l’homicide de la vie humaine non née dans certaines conditions, une décision « tyrannique » contre l’être humain le plus faible et le plus sans défense ? » (Evangelium vitae, n. 70).
Que faut-il faire alors ? Les femmes qui tombent enceintes sans le désirer se retrouvent souvent livrées à elles-mêmes. L’homme qui a engendré l’enfant et aussi sa famille insistent souvent pour un avortement. Il ne faut pas leur offrir le droit à l’avortement, mais leur tendre la main afin qu’elles puissent mener la grossesse à terme. Ensuite, c’est à elles de décider si elles veulent garder l’enfant ou le confier à l’adoption. L’Église catholique plaide pour une culture de la vie, dans laquelle la mère comme l’enfant, y compris l’enfant à naître, soient entourés d’amour et de soins.
Utrecht, le 5 septembre 2025
Willem Jacobus cardinal Eijk
Archevêque d’Utrecht et référent en questions médico-éthiques au nom de la Conférence épiscopale néerlandaise
[1] W. Paulusma, L’accès à l’avortement est un droit humain, voir : (https://d66.nl/wp-content/uploads/2024/11/Initatiefnota_abortus_4.pdf)
[2] Rapport annuel 2021 Loi sur l’interruption volontaire de grossesse (Wafz), septembre 2022, voir : (https://www.igj.nl/publicaties/jaarverslagen/2022/09/22/wafz-2021)
[3] Rapport annuel 2023 Loi sur l’interruption volontaire de grossesse (Wafz), novembre 2024, voir : (https://www.rijksoverheid.nl/documenten/rapporten/2024/11/06/jaarrapportage-2023-ley-interrupcion-embarazo-wafz)
[4] Institut Guttmacher, « Long-Term Decline in US Abortions Reverses, Showing Rising Need for Abortion as Supreme Court Is Poised to Overturn Roe v. Wade », 15 juin 2022, voir : (https://www.guttmacher.org/article/2022/06/long-term-decline-us-abortions-reverses-showing-rising-need-abortion-supreme-court)
[5] Organisation mondiale de la Santé, Avortement, 17 mai 2024, voir : (https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/abortion)
[6] Texte intégral de la Constitution du 4 octobre 1958 en vigueur, art. 34 : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme de recourir à l’interruption volontaire de grossesse », voir : (https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur)
Traduction par Adèle Cottereau
Source : https://www.infocatolica.com/?t=noticia&cod=53410
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